10 personnages aveugles emblématiques au cinéma
Le cinéma a souvent exploré la cécité à travers des personnages marquants, tantôt vulnérables, tantôt dotés d’une ouïe surdéveloppée. Dépeints comme des victimes ou des super-héros, qu’en est-il réellement de la représentation des personnes aveugles sur grand écran ? Et qu’en est-il des acteurs déficients visuels, à qui ces rôles échappent systématiquement ?

Chargé de communication
Pour les personnes aveugles et malvoyantes, l’expérience cinématographique se heurte encore à de nombreux obstacles. Pourtant, de plus en plus de productions sont audiodécrites. Il y a une véritable volonté de rendre le 7ème art accessible à tous et des initiatives comme la plateforme pour l’audiodescription, dont Eqla est l’un des membres fondateurs, vont dans la bonne direction.
Mais est-ce que rendre les productions accessibles aux personnes déficientes visuelles suffit à garantir une véritable inclusion ? Au-delà de l’accès au contenu cinématographique, qu’en est-il de la représentation des personnes déficientes visuelles à l’écran ?
Trop souvent, les personnages aveugles sont enfermés dans des stéréotypes réducteurs. Ils sont dépeints comme des victimes tragiques inspirant la pitié ou comme des héros dotés de capacités “surnaturelles”, censées compenser leur handicap. Ces traits forcés entretiennent des stéréotypes qui ont la vie dure : un aveugle à nécessairement besoin d’aide ou, au contraire, a obligatoirement développé une ouïe surnaturelle.
Des rôles qui échappent aux acteurs déficients visuels
Le cinéma évolue, mais rares sont les incarnations avec un parcours, des émotions et des ambitions qui ne résument pas ces personnages à leur handicap.
À cela s’ajoute un autre écueil : ces rôles sont presque toujours confiés à des acteurs voyants. Les raisons invoquées sont souvent d’ordre économique : un Denzel Washington, ou un Ben Affleck, vont plus facilement remplir des salles sur leur nom qu’un acteur aveugle inconnu du grand public. Résultat : une double invisibilisation pour les acteurs déficients visuels, qui ont du mal à se faire une place dans cette industrie.
L’inclusion ne se limite pas à l’accessibilité des salles de cinéma : elle passe aussi par une représentation juste, nuancée… et portée par celles et ceux qui sont directement concernés.
Voici, chronologiquement, un top 10 des personnages aveugles ayant marqué l’histoire du cinéma.
1. « The Fake Beggar » (1898)
La première représentation d’un aveugle au cinéma est généralement attribuée au film muet de Thomas Edison, The Fake Beggar, que l’on pourrait traduire en français comme Le Faux Mendiant.
Dans ce court-métrage, un mendiant se fait passer pour un aveugle. Après qu’une pièce soit tombée, il révèle sa supercherie en la ramassant pour s’enfuir.
Les représentations de l’époque dépeignaient fréquemment les aveugles comme des objets de pitié, des figures comiques, ou des individus victimes d’événements tragiques. Ce qui alimentait, déjà, les stéréotypes autour des personnes porteuses de handicap.
Le film dans son intégralité, à savoir… 29 secondes :
2. La Fleuriste dans « Les Lumières de la ville » (1931)
Dans ce classique parmi les classiques de Charlie Chaplin, le Vagabond (interprété par Chaplin) rencontre une jeune fleuriste aveugle (Virginia Cherrill) qui le prend pour un homme riche. Touché par sa situation, ce dernier entreprend de réunir, souvent de manière illégale, l’argent nécessaire pour une opération qui pourrait lui rendre la vue.
La scène finale du film est l’une des plus prenante de l’histoire du cinéma. Ayant recouvré la vue grâce à l’argent donné par Charlot, la fleuriste a ouvert son propre magasin de fleurs. Charlot, qui vient de sortir de prison, la revoit par hasard à travers la vitrine de sa boutique. La situation bascule lorsqu’elle lui touche la main pour lui donner une fleur, reconnaissant alors son bienfaiteur grâce au toucher.
La scène de la rencontre entre le vagabond et la jeune fleuriste :
3. Selina D’Arcey dans « A Patch of Blue » (1965)
Selina D’Arcey, interprétée par Elizabeth Hartman, est une jeune femme aveugle vivant sous la coupe de sa mère abusive. Elle rencontre Gordon Ralfe (Sidney Poitier), un homme bienveillant qui lui ouvre les yeux sur le monde extérieur.
L’un des thèmes centraux du film est l’idée que « l’amour est aveugle ». Selina tombe amoureuse de Gordon sans se douter qu’il est noir. Le film est sorti en 1965, une année charnière du mouvement des droits civiques aux États-Unis, marquée par des événements comme les marches de Selma et les émeutes de Watts. Dans ce contexte de tension raciale, le film aborde directement le sujet des relations interraciales, un thème encore tabou et explosif à l’époque.
La bonde annonce :
4. Susy Hendrix dans « Seule dans la nuit » (1967)
Dans ce thriller Audrey Hepburn incarne Susy Hendrix, une femme récemment devenue aveugle à la suite d’un accident de voiture. Elle se retrouve involontairement en possession d’une poupée contenant de l’héroïne, ce qui attire l’attention de criminels déterminés à la récupérer. Seule dans son appartement, Susy s’en sort grâce, on vous le donne en mille, à une ouïe surdéveloppée…
Le film joue sur le contraste entre ce que le spectateur voit et ce que Suzy ne voit pas. La vulnérabilité de l’héroïne est d’abord mise en évidence, créant une tension psychologique. Son handicap devient ensuite sa force, à mesure qu’elle apprend à inverser la situation à son avantage.
Dans une scène centrale du film, Susy, acculée, brise les ampoules électriques de son appartement pour s’immerger, elle et ses assaillants, dans le noir complet. Privé d’images claires, le spectateur est forcé à se concentrer sur les sons, et à percevoir l’environnement de la même manière que le personnage principal.
La bande annonce :
5. Selma Ježková dans « Dancer in the Dark » (2000)
Interprétée par Björk, Selma est une immigrée tchèque vivant aux États-Unis, travaillant à la chaîne dans une usine et passionnée par les comédies musicales. Atteinte d’une maladie héréditaire qui la rend progressivement aveugle, elle économise pour financer une opération destinée à sauver la vue de son fils, atteint de la même pathologie.
Le film dépeint le déclin progressif de la vue de Selma. De peur de perdre son emploi, elle met en place toute une série de stratégie pour masquer la perte de sa vue à ses employeurs et à ses proches. Au début du film, alors que sa vue décline, elle mémorise la liste de lecture qu’elle est censée lire à l’usine. Cela lui permet de poursuivre son travail sur la chaîne de montage sans que ses collègues ne se rendent compte qu’elle est en train de devenir aveugle.
Tragédie musicale, ce film a secoué plus d’un spectateur à sa sortie. Traumatisée par le tournage, cela reste à ce jour le seul rôle majeur de Bjork au cinéma.
La bande annonce :
6. Matt Murdock dans « Daredevil » (2003)
Matt Murdock, interprété par Ben Affleck, est un avocat aveugle de jour et un justicier masqué la nuit. Après un accident impliquant des déchets toxiques, il perd la vue mais développe des sens surhumains qui compensent sa cécité. En tant que Daredevil, il combat le crime dans les rues de New York, utilisant ses capacités accrues pour protéger les innocents.
Le film dépeint sa capacité de perception comme un système de « sonar », qui s’apparente à une forme d’écholocalisation faisant appel à ses autres sens.
À ce jour, il demeure l’un des seuls super héros d’envergure en situation de handicap.
La bande annonce :
7. Zatoichi dans « Zatoichi » (2003)
Zatoichi, incarné par Takeshi Kitano, est un masseur aveugle et maître épéiste itinérant dans le Japon féodal. Il voyage de village en village, défendant les opprimés et affrontant des gangs criminels. Figure de la littérature japonaise, incarné à de multiples reprises à la télévision ou sur grand écran, son ouïe est si fine qu’il peut détecter le mouvement d’un adversaire ou la distance d’une menace.
Perçu comme inoffensif et maladroit, il dissimule sa lame… dans une canne de marche, pour masquer sa véritable nature de maître épéiste.
La bande annonce :
8. Eli dans “Le livre d’Eli” (2010)
ATTENTION SPOILER, mais peut-on vraiment spoiler pour un film sorti en 2010 ?
Dans un futur post-apocalyptique, Eli (Denzel Washington), un survivant solitaire, traverse les États-Unis pour accomplir une mission divine : protéger et transporter un livre unique : la dernière copie de la Bible. Eli est aveugle, comme le personnage biblique, mais sa cécité n’est révélée que tard dans le film. Elle ne l’empêche pas de tracer sa route dans un monde hostile, proche de l’univers de Mad Max.
La bande annonce :
9. Daniel dans « Anatomie d’une chute » (2023)
Dans ce drame judiciaire oscarisé réalisé par Justine Triet, Daniel, un garçon de 11 ans (Milo Machado Graner) a perdu la vue à la suite d’un accident.
Après la mort suspecte de son père, sa mère Sandra est accusée de meurtre. Le témoignage de Daniel devient central lors du procès. Seule personne présente au moment des faits, le film soulève la question du crédit donné au témoignage d’une personne aveugle.
La cécité de Daniel a parfois été perçue comme une métaphore de l’impossibilité d’atteindre une vérité absolue. Tout comme Daniel ne peut pas voir ce qui s’est passé, les personnages du film — et les spectateurs — ne peuvent pas savoir avec certitude qui dit la vérité.
La bande annonce :
10. Milo dans « Regarde » (2025)
Suite à l’annonce de la rétinite pigmentaire de leur fils de 16 ans (Ewan Bourdelles), qui va le rendre aveugle, des parents divorcés (Dany Boon et Audrey Fleurot) mettent leurs rancœurs de côté. Ils l’embarquent pour un road-trip afin de lui créer de beaux souvenirs visuels avant qu’il ne perde la vue. Ce voyage devient une dernière occasion de se réunir en famille et d’affronter l’épreuve ensemble.
Le film s’inscrit dans un genre qui explore la résilience face à la cécité, rappelant des œuvres comme Intouchables ou La Famille Bélier pour leur capacité à aborder le handicap avec un mélange d’humour et d’émotion.
Bien que la maladie de Milo soit au cœur de l’intrigue, le personnage est dépeint avec sa propre personnalité, ses aspirations et ses émotions, au-delà de sa déficience visuelle. On parle d’un adolescent de 16 ans, avec les centres d’intérêts et les préoccupations d’un enfant de son âge.
Comme cela reste une comédie familiale, il y a a bien évidemment des raccourcis scénaristiques mais, dans son ensemble, la représentation de sa malvoyance a été bien perçue par le public déficient visuel. Quand Milo est surprotégé par ses parents qui ont peur pour sa sécurité, cela fait souvent écho à l’histoire personnel de nos bénéficiaires…
La bande annonce :
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